Elle nous a donné rendez-vous au Studio Patine, le bureau-showroom parisien de la marque, cour des Petites Écuries. Le lieu, lumineux et un peu foutraque, mixe sans complexes un parquet ancien, grand style, avec des plafonniers LED rouge tomate. « Ce sont des néons d’école, que notre archi Thomas a trouvés sur Leboncoin et qu’on a bombés », explique Charlotte. Avec ses Converse, son sweat loose, son carré fou, elle a le même air d’éternelle cool kid qu’Isabel Marant. Elle est fan, on l’aurait parié.
On ne se fiera pas trop au sweat d’ado : à l’intérieur, il y a la mère de trois enfants, une vraie tête et une cheffe d’entreprise à l’agenda de ministre. Au programme du jour : installation du corner Go for good aux Galeries Lafayette, consacré à la mode responsable, finalisation d’un sweat à capuche, choix d’un gris chiné pour la rentrée prochaine, développement d’un tissu de chemise blanche… « Et puis éditer des factures, payer des gens, faire un calcul d’impact environnemental sur le velours, notre nouvelle matière, qui sort dans quelques jours », complète Charlotte.
Elle file dans la kitchenette du studio, refaire du café. Café filtre, évidemment, servi dans un mug, comme dans les séries américaines 90’s qu’elle regardait ado et qui influencent tout le vestiaire Patine. Sur le feed Instagram de la marque, on est loin de l’esthétique lin froissé et couleurs passées des marques de mode responsable. Le rose malabar, l’imprimé léopard et les hommages à Beverly Hills 90210 sont partout. « J’aime cette époque hyper joyeuse et innocente. Tous les gens étaient des grands enfants. C’était le début du sportswear, les marques mettaient les gens en jogging. »
On se retrouve propulsés 25 ans en arrière : Charlotte a 14 ans, un sac à dos Chevignon, se parfume à l’Eau Jeune et découpe des magazines pour remplir ses classeurs de mode. Quelques années plus tard, elle fait un stage à la Samaritaine, bosse pour bag – un trimestriel de mode – et trouve dans la sape son espace de créativité et de quoi envelopper sa timidité : « Quand j’ai commencé chez bag, je n’avais pas de sous du tout. J’ai commencé à m’habiller vintage, ça m’a permis de me faire un look pas trop à côté de la plaque. Je me suis passionnée pour ce monde-là et pour les personnes derrière les vêtements. Des gens vivaient de ça, ça me faisait rêver. »
On s’est dit : On va faire un truc suffisamment sexy pour intéresser les gens qui s’en foutent.
Toujours un pied dans la mode, elle passera ensuite 10 ans chez Sarenza, en tant que directrice marketing, avant que l’envie d’un projet à elle commence à déborder. « Au départ, l’idée, c’était de faire de la qualité, comme les vêtements de ma grand-mère qui sont encore nickel aujourd’hui. Des pièces confortables, lavables, belles longtemps. Très vite, j’ai aussi voulu minimiser leur impact environnemental, en utilisant au maximum les connaissances d’aujourd’hui : être au taquet sur les solutions de recyclage, le local… On a interrogé notre cercle et on s’est rendu compte que cet aspect éco-friendly ne les intéressait pas du tout. On s’est dit : « On va faire un truc suffisamment sexy pour intéresser les gens qui s’en foutent. » »
Le projet se met en place petit à petit : Patine proposera un vestiaire ultra-restreint de basiques qu’on porte longtemps, lancés un à un, et irréprochablement green : les matières seront naturelles, peu gourmandes en eau ou carrément recyclées, la fabrication européenne. Aujourd’hui, le défi est relevé : le tee-shirt Willie est 100% coton bio dont 40% recyclé. Le jean Brenda 50% coton recyclé et 50% Refibra (un mix de coton recyclé et lyocell). « On peut se permettre d’être très exigeants parce qu’on a très peu de pièces », explique Charlotte.
Souvent, l’idée d’une nouvelle pièce naît d’un des basiques de son placard : le sweat Snoopy, qu’elle porte à chaque fois qu’elle est photographiée, une salopette bleu de travail chinée à Marseille… Elle en discute avec l’une des stylistes avec lesquelles elle travaille, gamberge des mois sur l’idée, croise le projet avec les desiderata des clientes, soigneusement récoltés via un questionnaire, part en quête des bons matériaux, pèse l’empreinte carbone du moindre bouton. Un travail de fourmi.
Pour les tee-shirts, on a eu 3 mois de retard sur le tricotage, parce que les machines n’arrivaient pas à travailler les fils irréguliers du coton recyclé.
Une telle exigence apporte évidemment son lot de coups durs : « Pour les tee-shirts, on a eu 3 mois de retard sur le tricotage, parce que les machines n’arrivaient pas à travailler les fils irréguliers du coton recyclé ». Qu’importe, les heures fastes rattrapent tout : le jean Brenda sold out quatre heures après la mise en ligne, le mail de Sarah Andelman, de (feu) Colette, qui – en réponse à la lettre de fan de Charlotte – écrit qu’elle veut bien mettre les tee-shirts Patine en boutique. « Et puis, il y a les messages des clientes qui me disent que leur jean ne quitte pas leurs fesses ou que leur tee est toujours aussi canon après 400 lavages. » Mission prêt-à-reporter accomplie.
PATiNE c’est : un tee-shirt Willie et un sweatshirt Marty 100% coton bio dont 40% recyclé, un jean Brenda 50% coton recyclé et 50% Refibra (un mix de coton recyclé et lyocell), les bijoux créoles Anita, 100% bio-acétate, obtenue à partir de cellulose de bois et de coton, en ajoutant un plastifiant naturel à base de maïs garanti sans phtalates.