Banlieue Nord. Matin gris. Élodie Theme, chargée de développement chez Re-Belle, nous a donné rendez-vous à la maison de retraite Salvador Allende à Aubervilliers, où Re-Belle a installé ses casseroles à confiture il y a deux ans. « Les cuisines de la résidence ne servaient presque plus… Ils étaient passés aux plats à réchauffer », explique Élodie. La mairie a donc mis gracieusement les cuisines désertées à disposition de l’association.
Élodie nous fait entrer et on oublie d’emblée la rue grise, le périphérique, la pluie fine : ça sent l’été, l’enfance, les cagettes qu’on récupère en fin de marché, la confiture d’abricots qui bloblote dans la marmite. Bref, quelque chose d’assez délicieux qui prend un peu au coin de l’oeil.
Devant les plans de travail, une demi-douzaine de confiturières, en blouse, charlotte et masque, s’affairent. Une à la découpe des fruits, une à la plonge, une à la cuisson, une à la mise en pots. Deux autres, penchées sur un extracteur de jus rutilant, pressent en un tour de main des grosses poignées de raisins. Au fond de la cuisine, près des casseroles, la cheffe de production, Laurence Gys, contrôle le taux de sucre de la préparation en cours sur une petite machine électronique : on ne plaisante pas avec l’appellation confiture.
Ses fraises « Bonne Saint-Valentin ! » sont arrivées le 15 février.
Les fruits et les légumes que Re-Belle valorise arrivent quatre fois par semaine. Le chauffeur-livreur de l’association les récupère en grande partie chez Monoprix, le partenaire historique de Re-Belle. Une dizaine de magasins de la marque sont collectés, tous en région parisienne. L’association se fournit aussi au Carrefour d’Auteuil. Chez Re-Belle, on tient au local. Souvent, ces fruits n’ont pas trouvé preneur parce qu’ils étaient biscornus ou un peu « passés ». « On reçoit énormément de bananes car les gens les boudent dès qu’elles sont tachées de noir », explique Élodie, avant d’enchaîner sur une autre histoire de fruits exclus du circuit : « L’année dernière, un producteur avait estampillé ses barquettes de fraises « Bonne Saint-Valentin ! ». Ses fraises sont arrivées aux entrepôts un jour après la fête, le 15 février. » Produit invendable. Re-belle a récupéré le lot et transformé en confiture les fraises retardataires.
Une fois chez Re-Belle, les fruits sont triés, épluchés, assemblés selon les recettes de Laurence, cuits, mixés. Devenus confitures, ils retourneront au supermarché, pour être vendus au rayon fruits et légumes, soit exactement là où ils étaient quelques jours plus tôt.
Le coeur du projet, c’est la création d’emploi.
Fondée en 2017, l’association Re-Belle n’a pas seulement une vocation anti-gaspi. Le coeur du projet, c’est la création d’emploi, nous explique Élodie. L’association a le statut Atelier Chantier d’Insertion depuis 2017 et embauche des personnes éloignées de l’emploi. Pendant un an, elles seront confiturier.e, chauffeur.e livreur.e ou assistant.e administratif.ve, le temps de se (re)familiariser avec le monde du travail, les contraintes, les horaires… de reprendre confiance en elles, de (re)découvrir leurs compétences ou d’en acquérir (cours de français, formation au code de la route…) et de construire un projet professionnel en accord avec leurs affinités.
À ce jour, quinze salariés sont en parcours d’insertion chez Re-belle, essentiellement des femmes, un point important pour l’association : en Seine-Saint-Denis, le chômage est important, surtout chez les femmes, avec un taux d’inactivité à 30,9% contre 22,7% pour les hommes (INSEE, 2015). Double peine : dans les parcours d’insertion, il y a beaucoup moins de propositions d’emploi pour les femmes car « les femmes se censurent sur des métiers qu’elles peuvent percevoir comme trop masculins », détaille Élodie.
Awa Doumbia est l’une de ces quinze salariés en parcours d’insertion. C’est l’heure de la pause, elle veut bien se plier au jeu de l’interview. Elle vient d’Abidjan, est arrivée en France en 2017. Confiturière Re-Belle depuis décembre 2019, elle aime son boulot et elle est fière de travailler pour une belle cause comme la lutte contre le gaspillage alimentaire. Aussi, elle est à l’aise au milieu des casseroles. Cuisiner, elle adore ça : « À la maison, je peux passer six ou sept heures en cuisine », assure-t-elle. Ses spécialités : des plats « du pays », mafé, tiep… mais, dans un autre registre, elle aime aussi le gratin dauphinois. Après son passage chez Re-Belle, Awa aimerait ouvrir son restaurant. On la sent passionnée mais lucide sur les difficultés que peuvent rencontrer les restaurateurs-entrepreneurs.
Élodie se joint à la conversation. Elle aussi a trouvé, avec Re-Belle, un projet au diapason de sa sensibilité. Après un parcours classique en communication, elle travaille pour l’entreprise de matériaux de construction Point.P, puis pour le conseil régional d’Île-de-France… Sans ferveur particulière. « Pour mon Master, je me suis dit : « Essaie de trouver un truc qui te plaît et dont tu serais contente de parler » », se souvient-elle. Au hasard d’une conversation avec une amie, elle entend parler de Re-Belle. Sensible au zéro déchet, elle envoie une candidature spontanée. Banco. Elle est embauchée en tant qu’apprentie puis en CDI, sur des missions de communication et se sent rapidement à sa place : « Quand je suis arrivée, j’ai senti que les gens étaient sincères et bienveillants. Ici, les gens travaillent par passion. »
De passion, Élodie n’en manque pas non plus quand elle évoque les projets en cours de l’association : des cooking shows anti-gaspi, aux partenariats avec les fermes urbaines Agripolis ou le groupe de luxe Kering, qui a sollicité Re-Belle pour revaloriser les coings de ses jardins du VIIe arrondissement de Paris.
“80 tonnes de fruits et légumes sauvés, 15 personnes accompagnées”
Sa fierté est la même que celle d’Awa, quand elle nous promet de nous envoyer le rapport d’activité 2019 de l’association. Bilan annuel : 15 personnes accompagnées, une équipe de 23 salariés, 11 sorties en emploi ou formation, sans compter les 200 000 pots de confiture produits et les 80 tonnes de fruits et légumes sauvés. Il y a de quoi être radieuse.
Re-Belle c’est 15 personnes accompagnées, une équipe de 23 salariés, 11 sorties en emploi ou formation, sans compter les 200 000 pots de confiture produits et les 80 tonnes de fruits et légumes sauvés.